samedi 4 février 2012

Le texte: édition


Le texte est disponible, chez Paradox...

avec une longue interview par Nataël Moreau, qui révèle les dessous de l'enquête et du road-movie Picard...

commander: http://www.editionsparadox.com/livre/faits-divers reportage France 3 Alpes: http://api.dmcloud.net/player/pubpage/4e709e80f325e11e5f000025/4fbb8b7a16fd3b5cf40001ac/cbe8c20604ad49c0873da7a0ac282945?wmode=direct

Analyse en règle...


une analyse minutieuse du spectacle sur un site rennais... euh, même moi, j'en ai appris des bonnes... des vertes... et des mûres...

sur le site de alter1fo:
http://alter1fo.com/nicolas-bonneau-un-tueur-en-serie-a-ouvert-mythos-32836

Nicolas Bonneau : un tueur en série a ouvert Mythos

Le festival Mythos s’est ouvert ce mardi 12 avril 2011 à Rennes, avec une proposition ambitieuse. Le synopsis était alléchant : Nicolas Bonneau, conteur, part sur les traces d’un tueur en série, bien réel, qui a atrocement tué 7 femmes en Picardie dans les années 80… et qui par le plus grand des hasards, porte le même nom que lui…

L’élément déclencheur
Mais pourquoi donc s’intéresser à cet homme, tueur homonyme du conteur ? Nicolas Bonneau l’explique : « C’était en tournée. Un soir, à l’hôtel. Par réflexe, j’ai allumé la télévision. J’ai pris en cours une émission sur les tueurs en série (le serial-killer est à la mode ces temps-ci), et j’ai vu apparaître la photo d’un tueur qui avait sévi en Picardie dans les années 80, en assassinant des femmes de manière atroce. J’ai vu sa photo. Puis j’ai entendu son nom : Bonneau. Prénom Jacques. Le même nom que moi. La voix off du documentaire martelait son nom sur une musique de suspens : Bonneau ! Mon nom qui résonnait dans la pièce. Je suis resté scotché devant le poste, à la fois dégoûté et fasciné par les crimes commis. Fasciné aussi par ce patronyme partagé, comme si ce nom nous reliait, comme un fil invisible. »
C’est l’élément déclencheur. Le conteur décide alors de s’emparer du sujet, et de s’intéresser, d’ « enquêter sur tout ce qu’il y a autour, les familles, les victimes, questionner la justice et la société. » C’est ce qu’il nous expose dans la première partie du spectacle. On le comprend très vite, son Fait(s) Divers sera donc le récit d’un road movie, celui d’un conteur qui part en Picardie, sur les traces d’un serial killer qui est son homonyme.

Le pouvoir de la parole
Le plateau est quasiment nu. Seuls deux lais tapissés, en quinconce, coupent la perspective. Au fond, une grande tenture, peinte avec des aspérités qui renvoient la lumière. L’espace scénique se partage en plusieurs espaces. La chambre, à Beauvais, sera représentée par un rectangle de lumière sur le sol sur la gauche du plateau. C’est le même lieu qui servira de cellule. La cellule dans laquelle Nicolas Bonneau, le conteur sera enfermé. La délimitation lumineuse n’est plus marquée, pourtant, le rectangle au sol a tellement imprimé nos esprits lors de ses précédentes apparitions, qu’on voit, sans avoir besoin d’y réfléchir, les murs rectangulaires de la cellule. Joli tour de force.
Il est impressionnant de voir à quel point les différents lieux traversés par le personnage prennent une réelle épaisseur simplement par la parole du conteur. Le plateau est nu et pourtant, on voit clairement le bureau et les plantes vertes du chef de la gendarmerie que Nicolas B. a demandé à rencontrer pour faire son enquête. La route de Picardie, sous la pluie et cette biche, les yeux mouillés dans les phares. La salle de la Cour d’Assises, le café de la gare, la chambre de Beauvais, la pièce dans laquelle Jacques Bonneau découpait et brûlait ses victimes. Tout est devant nos yeux. Simplement, par l’évocation de la parole. C’est d’abord là que Nicolas Bonneau est très fort. Il prend certaines fois le temps de décrire les lieux précisément : la chambre, à Beauvais, avec sa tapisserie et son cadre avec un clown, la Cour d’Assises, avec le banc des victimes, la table de l’avocat de la défense, le box des jurés et celui, vitré, de l’accusé… Mais d’autres deviennent simplement immédiatement visibles par la gestuelle du conteur (le comptoir du café où est accoudé l’un des deux badauds du village, la grille de la cellule par laquelle Nicolas Bonneau appelle le brigadier).

Un road movie burlesque
Bien sûr, c’est souvent burlesque, Nicolas Bonneau ayant décidé de nous faire d’abord rire de son histoire et de ne pas trop se prendre au sérieux. Le voyage commence à Beauvais, avec sa place de la gare, son hôtel de la gare, son café de la gare… Une ville de Picardie, morne et entourée de champs de betteraves. Nicolas Bonneau mène l’enquête et rencontre une galerie de personnages, drôles, tordus et croqués avec talent : un gendarme intello, un chroniqueur judiciaire pris de démangeaisons et grand amateur de sordide (quitte parfois à oublier la vérité), un avocat de la défense qui compare la Cour d’Assises avec la catharsis aristotélicienne de la tragédie théâtrale, un commissaire qui soigne ses plantes vertes ou deux piliers de comptoir aux raccourcis faciles. Il faut noter que Nicolas Bonneau est seul sur scène et incarne seul toute cette galerie de personnages, plus drôles que nature. On applaudit déjà les qualités du comédien nécessaires à ces incarnations successives ou concomitantes.
Ce road movie picard se veut donc d’abord burlesque. L’artiste teinte certaines répliques d’humour noir (les deux hommes au café), joue sur un comique gestuel (le chroniqueur judiciaire qui se gratte constamment, le mangeur de cacahouètes du bar ou l’affalement de l’avocat de la défense) ou un comique de situation (le plat du jour unique de Beauvais), mais aussi désarçonne les attentes du spectateur (le brigadier qui cite Bourdieu)… Ce mélange, ce jonglage entre différents ressorts du comique, est aussi renforcé par le mélange des genres.

Le mélange des genres
A plusieurs reprises, Nicolas B. tente le parallèle : « si nous étions dans un polar », « si nous étions dans un thriller » … En découlent alors plusieurs scènes, calquées sur des films de genre, qui font rire par leur détournement des codes. Nicolas B. s’essaie à la filature. Nicolas B. s’essaie à l’interrogatoire des témoins. Nicolas B. s’essaie à attendre une victime dans un ascenseur immobile… On est à la fois dans le rire, et dans le même temps, de vraies interrogations émergent de ces rapprochements. La capture de la proie, de la victime, d’abord imaginée par Nicolas B. fait l’objet d’une comparaison entre différents modus operandi de plusieurs tueurs en série réels. C’est à la fois fascinant et glaçant.
Le fond du plateau, est lui, réservé aux décrochages. A ces moments, où ce n’est plus le parcours, le road movie picard qui est représenté linéairement, mais où la pièce s’épaissit d’autres dimensions. L’intertextualité, d’abord qui confronte la figure de Jacques Bonneau avec celle(s) de Jekyll et Mr Hyde. Derrière ce Fait(s) Divers, Nicolas Bonneau cherche en effet à « comprendre pourquoi quelqu’un (…) passe de l’autre côté de la ligne rouge, pourquoi quelqu’un devient un assassin. Comment est-ce qu’on peut expliquer ça. Est-ce que c’est possible à expliquer, cette chose-là qui est dans la nature humaine ? » Car Nicolas Bonneau, l’homme, le dit : d’autres serial killers portent leur folie sur le visage. Dans le cas de Jacques Bonneau, les limites sont bien moins marquées. L’homme pourrait aisément passer pour un bon père de famille, un notable (le tueur en série est le médecin du village) respectable. Il apparaît alors terriblement proche de nous. Et c’est ce qui intéresse Nicolas Bonneau : qu’est-ce qui fait que cet homme apparemment comme vous et moi, soit passé de l’autre côté, soit devenu un criminel ? C’est finalement là la vraie question posée tout au long de cette pièce.

Un polar qui commence là où les autres s’arrêtent
Nicolas Bonneau, en parlant de son spectacle, aime à rappeler que « c’est un polar qui commence là où tous les autres polars s’arrêtent. » On connaît déjà le coupable. Les crimes sont avérés. C’est donc ce qui se passe après qui intéresse le conteur. Ou plus exactement, ce que cache le fait-divers derrière la fascination et le dégoût qui l’accompagnent, derrière la diversion (merci M. Bourdieu) qu’il apporte. Aussi le personnage rencontre successivement un chroniqueur judiciaire qui a suivi l’affaire, les gendarmes, la justice, mais aussi les piliers de comptoir du café du village, la famille des victimes, celle du tueur… Il s’agit d’interroger, toujours, de trouver des éléments de réponse pour épaissir le sens de ces actes qui nous semblent insensés. Rien de ce qui est humain ne devrait nous être étranger. Plutôt que d’une enquête, finalement, on devrait parler d’une quête. La quête introspective d’un homme qui cherche à comprendre la complexité de l’âme humaine et les détours glaçants que celle-ci peut parfois suivre. Plus qu’un polar, c’est un « polar métaphysique » que nous offre Nicolas B.
Ainsi sont citées certaines phrases de L’Etrange cas du Docteur Jekyll et de Mr Hyde, qui viennent résonner avec l’histoire qui nous est racontée. Cet homme, docteur, donc, qui recherche une potion pour comprendre la noirceur de l’âme, et qui, y parvenant, se retrouve du côté du vice et du crime, est-il différent de ce médecin picard qui conserve le sein de ses victimes dans un bocal de formol ? Là encore, qu’est-ce qui a conduit Jacques Bonneau à la folie de ces actes ? Nicolas Bonneau, dans une ambiance sombre et angoissante, nous raconte une autre histoire en introduction, celle d’un rebouteux qui scelle un pacte avec un criminel sans le savoir et se retrouve prisonnier du « mal » . Ces histoires viennent elles aussi interroger, questionner, tenter de « comprendre pourquoi quelqu’un (…) passe de l’autre côté de la ligne rouge » .
La comparaison est aussi établie avec Barbe Bleue, ce personnage de conte qui tua ses sept femmes, et dont le sang versé, tâche la peau de sa huitième femme qui a voulu connaître le secret de l’ogre. Quand Nicolas Bonneau nous raconte cette histoire, il est au fond du plateau, éclairé de telle manière que son ombre devient gigantesque sur la tenture derrière lui et évoque l’ogre du conte. Cette comparaison intervient alors que Jacques Bonneau, dans le spectacle, capture la huitième femme qu’il s’apprête à tuer (qui parviendra à s’enfuir), comme la nouvelle épouse de Barbe-Bleue, qui se trouve elle aussi être la huitième femme de l’ogre. L’évocation du conte est une autre tentative de compréhension du fait-divers. Les mythes et les contes sont un media pour appréhender la complexité de l’âme humaine : tout s’y joue, déjà, de manière fantasmée.

Le documentaire s’épaissit de la fiction
Cette quête de compréhension passe donc par ce palimpseste de textes qui résonnent entre eux. Mais il faut aussi noter que Nicolas Bonneau définit son travail aussi, comme celui d’un documentariste. On connaissait Nicolas Bonneau pour ses spectacles autour du monde social et politique avec Sortie d’Usine et Inventaire 68. Cette fois-ci, en s’attaquant au fait-divers, le conteur part une nouvelle fois de la réalité, de la parole vraie, recueillie au cours d’une enquête bien réelle. Comme ces bandes dessinées, par exemple, qui flirtent elles aussi avec le documentaire (le travail d’Etienne Davodeau en tête, ou celui de Yann Benoît et Hervé Tanquerelle pour la Communauté), la forme du média choisi (ici le théâtre) permet de rendre compte de la réalité différemment. Nicolas Bonneau interpénètre ainsi réalité documentaire et fiction. Le sens est donc complété, épaissi par le recours à l’imaginaire ou à l’intertextualité. C’est une autre vérité documentaire qui nous est présentée par ce biais. Le documentaire ne permettant peut-être pas, à proprement parler, de comprendre la complexité de tels actes, le recours à la fiction permet d’épaissir le sens, de progresser dans la compréhension de l’innommable.
Trouble de la personnalité et passage de la première à la troisième personne
On notera que le texte, écrit par Nicolas Bonneau, en collaboration avec Anne Marcel utilise à la fois « je » et « Nicolas B. » lorsque le conteur parle de ce conteur parti en Picardie qui est lui-même. Les liens entre fiction et documentaire, la confusion entre narrateur et personne réelle sont constamment battus en brèche par ce passage continu de la première à la troisième personne. Cela joue sur la distanciation à la fois recréée et en même temps niée avec le spectateur. On hésite constamment : à quel moment est-on dans la réalité ? Dans le documentaire ? Dans le spectacle ? Nicolas B. dont on parle devant nous existe, et c’est lui, en personne qui nous parle de lui-même à la fois comme s’il était un personnage et à la fois (on imagine) en son nom propre. C’est finalement encore la même chose qui est en jeu. L’appréhension de la réalité ne peut l’être que dans la complexité de la pièce, du spectacle.

La vérité de l’expérience intime
En interview sur Canal B ce mercredi, l’artiste, interrogé sur la réalité des lettres envoyées ou non à Jacques Bonneau, s’écrie : « ce que je raconte est vrai ». Peu importe que les choses passent ou non par la fiction, c’est la réalité de l’expérience intime qui est ici relatée. Comment la fascination au départ éprouvée, se transforme progressivement. Durant 3 ans, l’artiste a en effet collecté la matière de son spectacle. Et cette idée, d’abord excitante et jouissive aboutit sur la nécessité d’en finir avec cette histoire, qui prend progressivement dans sa vie une énorme place. D’autant que, ainsi qu’il l’explique quand Canal B lui demande si Jacques Bonneau a répondu à ses lettres, il est encore « dans l’attente » et que le spectacle pourra encore évoluer en fonction de ce qui lui arrive dans le futur.
Interrogé par France 3 sur le(s) véritable(s) héros de sa pièce, Nicolas Bonneau parlait des familles des victimes et de celle du tueur, devant vivre avec. Tout en s’inquiétant, par ailleurs, qu’un quelconque moment de son spectacle puisse faire passer Jacques Bonneau, le tueur en série, pour un héros. Il n’en est rien. Jacques Bonneau n’est jamais héroïque. Il ne s’agit que de la figure d’un homme qui nous interroge profondément sur la complexité de l’âme humaine. Et cela par le biais de la pièce du conteur. Beau travail, Monsieur Nicolas Bonneau.

Isabelle Chauzit
alter1fo.com, magazine internet d'info locale et culturelle sur Rennes


Un peu de presse à lire...



Nicolas et Jacques Bonneau : conteur et tueur

Fait(s) divers. À la recherche de Jacques B : un spectacle de Nicolas Bonneau, vu au festival d'Avignon à la Manufacture. Un bijou du "off".
Jacques Bonneau, « l’ogre de Picardie » a, dans les années 80-90, tué sept femmes... sept victimes étranglées dont les seins (un par femme) étaient conservés dans du formol.
Nicolas Bonneau n’a pas grand-chose à voir avec Jacques : il n’est ni médecin, ni tueur en série, pas picard non plus, quoique parfois surgelé. Il est conteur, auteur et comédien. C’est un soir, en regardant la télé, un « faites entrer l’accusé » consacré à la Picardie, qu’il a découvert ce Bonneau, nom prononcé par une femme qui lui avait réchappé. Le lendemain, le téléspectateur a eu une idée : faire un spectacle où Bonneau enquêterait sur Bonneau. «Ce serait marrant » se disait le comédien, léger.
Marrant de suivre les traces d’un tueur en série, de se poser aux bars de vieux cafés picards, d’essayer de comprendre ce qu’il ressentait dans les villages dévastés des alentours de Beauvais, face à ses patientes, en rentrant chez lui le soir auprès de sa femme et ses enfants, ou lorsqu’il marquait soigneusement d’un coup de feutre le sein de sa victime, avant de le découper… Ce serait marrant aussi de se jouer, soi, comédien, en train d’enquêter, d’alterner sur le plateau les deux Bonneau, et d’imaginer que Bonneau, l’autre, pourrait, lorsqu’il aurait expié sa peine, se trouver là, dans le public, à se regarder au travers des yeux du comédien.
Ce serait marrant, et troublant… Une superbe performance d’acteur en tous cas, un incroyable talent de conteur et quelques questions : sur la banalité du mal, le fait qui fait « diversion », sur le rôle de l’art : peut-on ainsi faire de la vie d’un meurtrier un spectacle grinçant certes, mais comique avant tout, alors que l’homme est peut être encore enfermé ? Est-ce une double peine ? Ou un hommage qui lui serait rendu pour la matière qu’il aurait mis à disposition d’un comédien désireux de remplir une salle et d’un public voyeuriste ? Cela devient en tous cas un conte rondement et finement mené, un plaisir de spectateur, et sûrement d’acteur. À voir !

Si j’étais debout sur ma tête
(Blog Avignon 2011)
http://sijetaisdeboutsurmatete.blogspot.com/2011/07/nicolas-et-jacques-bonneau-conteur-et.html




Le burlesque voisine avec le monstrueux

La plupart des tueurs en série soignent la mise en scène de leurs crimes. Dans « Fait(s) divers », c’est un comédien, Nicolas Bonneau, qui se met en chasse d’un criminel dont il refait minutieusement le parcours. Retour sur les lieux, rencontres avec les familles des victimes, avec les responsables de l’enquête : le comédien effectue une plongée dans les abysses humaines où le spectaculaire côtoie la métaphysique et le burlesque voisine avec le monstrueux.

Méliméloff
( Avignon 2011)




"Nicolas B à la recherche de Jacques B"

Quand il apprend qu'il porte le même nom qu'un tueur en série, Nicolas Bonneau décide de mener sa propre enquête sur l'assassin : "Nicolas B à la recherche de Jacques B" (une histoire tirée de faits réels, comme on dit). Le voilà donc parti en direction de la Picardie, comme dans un road movie de chez nous, avec l'A10 en guise de route 66. Une fois arrivé, il faut trouver un restaurant ouvert un lundi soir à Bovais (très difficile), prendre une chambre à l'Hôtel de la gare, avant de commencer les investigations sur celui qu'on surnommait l'"ogre de Picardie". 

Musique inquiétante, lumières changeantes qui évoquent tour à tout une sordide chambre d'hôtel, un commissariat éclairé aux néons, ou encore la silhouette du tueur... C'est sûr, ce spectacle donne des frissons. "Nicolas B" dresse le portrait d'un tueur, mais aussi de toute une région sous le choc de découvrir que son médecin de campagne (autrement dit un notable) est en réalité un monstre sanguinaire. Mais Bonneau ne manque pas non plus d'humour, et ses interviews, qu'il joue tout seul comme des dialogues de théâtre, sont savoureuses, en particulier celle du chroniqueur judiciaire pour qui "le fait divers, c'est la nouvelle catharsis" et même, finalement, "l'opium du peuple!".
Nicolas Bonneau se considère avant tout comme un conteur spécialisé dans ce qu'il appelle le "théâtre documentaire" : "tel Raymond Depardon posant sa caméra et regardant les gens vivre, je pose mon cadre, mes personnages, et je les fait vivre avec mon filtre, mon point de vue". Ici, Bonneau alterne journal de bord, interviews, confidences, ou encore adresses au public, avec un talent sans pareil qui fait de son enquête un vrai spectacle vivant, à ne manquer sous aucun prétexte.

Alice Ourliac, La Provence
( Avignon 2011)




Un road movie théâtral aux accents rieurs et inquiétants

Malgré nos réticences au voyeurisme, les faits divers ne cessent de nous fasciner. Car ils réveillent une part enfouie et inconnue de nous-mêmes.
C’est cette étrange fascination que Nicolas Bonneau explore dans Fait(s) divers.
Seul sur scène, ce formidable raconteur d’histoires mène une enquête autour d’une série d’assassinats perpétrés par un médecin picard, Jacques B., au cours des années 1980.
Alternant récit, narration, adresse directe au public, confidence, incarnation de personnages, Nicolas Bonneau nous embarque dans un road movie théâtral aux accents rieurs et inquiétants. Entre ombre et lumière, cette plongée dans l’inconnu laisse à l’âme une entêtante impression de trouble.

Programme du GRAND T



LES DEUX BONNEAU

En résidence au théâtre du NEST pour trois ans, le conteur Nicolas Bonneau jouera son dernier spectacle, Fait(s) Divers (à la recherche de Jacques B.), du 6 au 13 octobre au théâtre en Bois de Thionville.
Entre réalité et imaginaire, entre vérité et mensonge, ce funambule des mots ne s’en laisse pas conter.

En association avec l’équipe du NEST et son directeur, Jean Boillot, depuis la saison 2010/2011, Nicolas Bonneau est tout simplement ravi : « C’est la première fois qu’un Centre Dramatique National fait appel à un conteur, c’est assez singulier, je le vois comme une ouverture à ma profession». C’est pourtant une évidence : qui de mieux qu’un conteur pour un théâtre en bois dont le mur d’enceinte est tagué d’une intention clairement affichée : « Ici on raconte des histoires » ? Alors, pendant une année, Nicolas Bonneau fait des allers retours entre sa Poitou-Charentes natale, Thionville, et la Picardie. « Je passe du temps chez et avec les gens, je les fais parler, je les interroge, bref, je fais du collectage » pour rassembler la matière première des spectacles.
Fait(s) Divers le mène en Picardie, sur les traces d’un médecin bien sous tous rapports, marié, père, respecté et intégré dans la communauté. 7 femmes assassinées en 10 ans. Un tueur en série. Des articles en pages « Faits divers » qui, mis en résonance, retracent le parcours de ce meurtrier. Mais pourquoi en faire le terreau d’un conte ? « C’était en tournée. Un soir, à l’hôtel. Par réflexe, j’ai allumé la télévision. J’ai pris en cours une émission sur les tueurs en série (le serial-killer est à la mode ces temps-ci), et j’ai vu apparaître la photo d’un tueur qui avait sévi en Picardie dans les années 80, en assassinant des femmes de manière atroce. J’ai vu sa photo. Puis j’ai entendu son nom : Bonneau. Prénom Jacques. Le même nom que moi! » Partagé entre dégoût et fascination pour les crimes commis, le conteur regarde l’émission. Mais bien plus, il est fasciné par ce patronyme partagé.
Commence alors un minutieux travail de tissage pour relier tous les fils de l’histoire de cet inconnu à son histoire. De Jacques à Nicolas. Pour tenter de comprendre comment un être humain bascule, comment il devient le sujet d’un fait divers. Et surtout, pourquoi le fait divers nous fascine. « J’ai ma théorie, j’y vois une sorte de catharsis pour purger nos pulsions violentes ». Un serial killer sommeillerait-il en chacun de nous ? Ou pire, dans la salle ? Créé à Rochefort en avril dernier, Fait(s) Divers donne à voir, à imaginer, recrée le « road-movie » du conteur, de ses rencontres avec des juges, des avocats, des policiers à son courrier envoyé à l’autre Bonneau, dans sa cellule, resté jusqu’ici sans réponse. Les proches aussi, des victimes, de l’assassin. Des faits-diversiers du journal local, le maire du village, les habitants dans les cafés, des détenus.
Après le collectage vient l’écriture, avec son équipe, et sa metteur en scène, Anne Marcel. Fait(s) Divers est leur troisième spectacle. Plus ambitieux dans la scénographie, l’éclairage, le son que les deux précédents. Le premier, Sortie d’Usine, évoque les manifs, les syndicats, les ouvriers, les matins difficiles et les coups de gueule, les coups à boire, à partir d’une chaise et d’un néon. Le suivant, Inventaire 68, est le conte à la fois ludique, humain, des événements de la petite et de la grande histoire par ceux qui l’ont vécue. Pour tout décor, un gros pavé auteur duquel joue le conteur.
Car Nicolas Bonneau est aussi comédien et auteur pour le théâtre et les marionnettes. Mais par-dessus tout, il conte. Des histoires de 7 à 10 minutes, comme celle de cette robe de mariée achetée d’occasion après un mariage annulé alors qu’il est étudiant parisien fauché et n’est pas fiancé. La parole coule, facile, les gestes sont simples, évocateurs, la connivence avec le public évidente. « Le conteur a une imprécation sur la vie, les gens. Le récit de vie me plaît par son côté politique car je fais un théâtre populaire que je veux accessible aux gens qui vont rarement au spectacle, et, lorsque j’écris, je pense à mes parents ». Son éducation paysanne et ses études d’histoire associées à sa formation de comédien en font véritablement un conteur. Quelle est la part d’autobiographique, la part d’imaginaire alors?
Toujours sur le fil, dans une démarche où il est à la fois à l’intérieur de l’histoire, à la fois mis en scène, Nicolas Bonneau l’admet : «Je suis un peu un gros menteur en fait, j’ai un côté affabulateur, mythomane. J’aime perdre les gens, j’invente, je fais croire que c’est vrai », comme dans la littérature sud-américaine, où lorsque les choses sont ancrées dans une réalité tangible, l’auteur surprend et sape les codes. Mais « après, on s’en moque que ce soit vrai ou faux, tant que je raconte une bonne histoire ! ». Car finalement, «l’imprégnation de moi-même pour raconter, c’est ma façon d’y croire. » Pour Fait(s) divers, il pousse le processus jusqu’au bout, le théâtre documentaire s’empare du r& eacute;el pour en faire du théâtre, et le conteur réveille l’imaginaire du spectateur par les mots, les gestes, le travail du son, de l’éclairage. Selon Jean Boillot, directeur du Nest, « avec rien, il nous embarque dans un univers entre réalité et imaginaire », entre vérité et mensonge, entre deux Bonneau. Comme un funambule tenté par deux univers contradictoires et pourtant si proches.


Aline Hombourger

© L'ESTRADE, numéro d'octobre 2011


1 an après...


Voilà maintenant une année que FAITS(S) DIVERS, À LA RECHERCHE DE JACQUES B a vu le jour...

Tournée de création, puis festival d'Avignon, puis de nouveau une tournée prévue jusqu'en décembre 2013 ou juin 2014 ( Ouf, dès fois ça fout le vertige de se projeter jusque là !!! ), le tout pour une centaine de représentations...

Rennes, Amiens, Lezay, Secondigny, Cerizay, Thionville, Argentan, Strasbourg, St Quentin... et bientôt de retour sur ses terres. Beauvais, Compiègne.

Et après? Après, je l'abandonnerai, comme une peau qu'on laisse derrière soi...

3 ans à enquêter, construire, rêver de lui, penser à lui, se laisser envahir...
3 ans à vivre avec lui ensuite sur scène... à le digérer, prendre du plaisir aussi, retransmettre les émotions par lesquelles je suis passées...
Cela fera 6 ans.

Ce sera bien assez.
Après je pourrais passer à autre chose.

Et les questions des spectateurs qui s'accumulent sur ma liste:

Il vous a répondu?
Vous allez jouer dans sa prison à St Maur?
Vous lui avez vraiment écrit?
Vous l'avez rencontrer?
Vous allez le rencontrer?
Vous avez vraiment vécu tout ça?
Il va sortir?
Il va venir voir votre spectacle?
Vous n'avez pas peur de lui ressembler?
Et à la fin, il se passe quoi après? Ca veut dire quoi, aller jusqu'au bout?
Vous ressentez quoi pour lui?





" Tu crois qu'on aurait pu être amis Jacques? Tu sais, je me disais que j'aurais pu te suivre, qu'ensemble on aurait pu remonter le fleuve noir, se perdre dans le labyrinthe, plonger dans le coeur des ténèbres..."