jeudi 14 mai 2009

l'élément déclencheur.



Mon nom à la télévision.

"Chaque homme aura sa minute de gloire." La phrase d’Andy Warhol se vérifie chaque jour, et chacun de nous pourrait y succomber un jour ou l’autre. Avoir son nom dans le journal, ou mieux, à la télé, vu et entendu par tous, c’est une tentation flatteuse.

J’avoue que faisant le métier que je fais, un métier du spectacle, ça fait partie du jeu.

Mais j’avoue aussi, que la première fois où j’ai entendu mon nom sur une grande chaîne de télévision, à une heure de grande écoute, ça m’a fait une sensation étrange.

J’étais en tournée, c’était l’automne, dans une petite ville du Nord de la France. C’était le soir, après la représentation. J’étais crevé, mais pas envie de dormir.

J’allume la télé.

23h00.

Y’avait une émission spéciale de « Faites entrez l’accusé » sur France 2, consacré à la Picardie. Bientôt, vous verrez qu’il y aura des guides du routard sur les meilleurs tueurs en série de votre région, les endroits où il a vécu, sur la route du monstre, ect.

« Faites entrez l’accusé », avec Christophe Ondelatte en blouson de cuir comme un chacal assoiffée de sensationnalisme : « Mais quand il vous a regardé dans les yeux, vous avez eu peur non ? Qu’est-ce qu’on ressent face à un tel monstre ? Aujourd’hui encore, vous n’êtes pas fasciné par cet homme ? »

C’est lui qui fait froid dans le dos avec ses questions et sa musique grandiloquente, dans son bureau façon pénombre de commissariat.

Je ne savais pas de qui il parlait.

En face de lui, une femme d’une quarantaine d’année, qui racontait des choses atroces avec un sourire désarmant. J’ai compris qu’elle avait échappé au tueur.

Elle dit son nom.

Bonneau !

Elle avait échappé à Bonneau.

Merde je me suis dit, qu’est ce que j’ai encore fait ? Manquerait plus qu’il s’appelle Nicolas et je vais me retrouver au mieux avec des lettres d’insultes dans la boîte aux lettres et pire avec les flics à ma porte dans 5 minutes.

Bonneau !

Jacques, Jacques Bonneau !

J’ai regardé l’émission.

Pas finot le Jacques, 9 victimes, 9 femmes autour de Beauvais, en Picardie.

Pourquoi est-ce que tous les tueurs en série sont en Picardie, ou dans L’Yonne ou dans les Ardennes ?

C’est le lendemain que j’ai eu l’idée.

Bonneau.

On a le même nom.

Ça serait marrant de faire un spectacle sur lui, sur Bonneau qui enquête sur Bonneau, le conteur sur les traces du tueur, partir en Picardie, errer de motels en motels, interroger des gens qui l’on connu, chercher les lieux où il a vécu…

C’est comme ça que ça a commencé.

Mais je ne savais pas à ce moment-là jusqu’où j’allais aller.

Ça ne peut pas être un hasard si je me suis lancé sur ses traces.

Impossible en tout cas, de raconter son histoire sans raconter la mienne.

Impossible en tout cas, de raconter mon histoire sans raconter la sienne…

dimanche 3 mai 2009

Journal du Road-Movie




1° jour en Picardie. Road-Movie.

Ça y est, pris la route.
Sur les traces de Jacques.
Je l’appelle déjà Jacques.
Comme un vieux copain.
Je me sens comme dans un film, je sais pas moi, Sailor et Lula, Thelma et Louise, Easy Rider, tous ces films américains ou les voitures dévorent les grands espaces…
Road Movie.
Western.
La musique qui va avec.
La liberté.
Fuir quelque chose.
Échapper à son destin.
Des rencontres hasardeuses, des motels, des sirènes de police.
Et au bout de la route, découvrir ce que l’on est vraiment…
Sauf que là, c’est la Picardie. J’aurais rêvé de la route 66 entre New-York et la Californie… non, ce sera la Picardie. Dommage.
À moi la pluie, les maisons en briques et les hôtels de bords de gare.
Je mets la musique à fond.
Je me sens heureux, libre !
On a les tueurs en série qu’on mérite !



2°jour en Picardie. Approche touristique

La Picardie est une région composée de 3 départements, L’Oise, l’Aisne, la Somme.
Parmi quelques repères situons la Baie de Somme et sa traversée annuelle dans la boue, la Cathédrale d’Amiens et son évêque d’Amiens, la ville fortifiée de Laon, le vase de Soissons immortalisé par Clovis, des lignes ferroviaires qui convergent vers Paris, une série télévisée dont l’Homme titre portait le nom, l’accent picard et un fromage très particulier, cousin du maroual et dont l’odeur suffirait à mettre une armée en déroute.
La Picardie, un endroit où l’on s’arrête rarement sans y être obligé.
Ça ressemble un peu au Nord, mais en plus vert.
Il y a des fermes en briques, avec leurs cours carrées repliées sur elles-mêmes, comme par crainte d’une menace venant de l’extérieur.
Faut dire qu’ici, coincée entre l’Île de France et la Belgique, les guerres sont souvent passées par là, notamment celle de 14 qui a aplani les terres et dont on retrouve encore des bombes enfouies dans les champs.
La légende dit que c’est pour cela que les gens d’ici n’aiment pas se projeter dans l’avenir, parce qu’ils sont habitués à ce que les guerres viennent toujours tout détruire.
Sans doute pour cela aussi, que c’est la région de France où l’on retrouve le plus se sites archéologiques.
La légende dit également qu’il y pleut plus qu’ailleurs, et que les tueurs en série y prospèrent durablement… mais ce n’est que la légende…



3°jour en Picardie. Hôtel face à la gare.

J’ai pris une chambre d’hôtel face à la gare. 55 € tout de même. C’est plutôt miteux, le lit est mou, la tapisserie verte ou orange, difficile à savoir et comme toute décoration, un tableau passé d’un clown triste avec une larme sur la joue. Charmant. Je voulais de l’exotisme, me voilà servi. Besoin d’une douche après une journée sur la route. Je m’engouffre dans la cabine étroite. Je me crois dans un bateau et quand je me sèche, je remarque des tâches marron sur la serviette (des tâches qui ne sont pas à moi, je précise). Et quand j’ouvre mon lit, je découvre des poils qui ne sont pas les miens non plus. Bon. Je renonce à vomir ou à m’énerver et appeler la réception. J’ouvre la fenêtre. Un train arrive, il est 23 heures,


4°jour en Picardie. Terrasse de café.

Il y a un rayon de soleil. Si, si… il y en a un !
Je sors sur la terrasse en sirotant mon café. J’aime le goût du café noir dans la bouche.
J’essaie de me mettre dans SA peau.
Moi qui ai toujours voulu être médecin.
Savoir ce qui a débloqué, comment ça a commencé.
Connaître son enfance, son éducation.
Je sens bien, qu’il y a quelque chose de trouble à vouloir penser comme lui, quelque chose de dangereux, comme si je m’aventurais à explorer des terres marécageuses, dangereuses comme une nuit sans lune, m’attendant à voir apparaître le démon …
Alors je regarde les femmes.
Ça je le fais assez naturellement, mais là, je les regarde en me mettant derrière ses yeux.
Quelles sont les femmes qui lui plaisent, que cherche-t-il en elle, leur âge, physique, couleur de cheveux ?
Je dois maintenant découvrir son mode opératoire, comment il choisissait les femmes, comment il les attirait, comment il leur faisait subir les tortures, comment il les faisait disparaître… Quelles sensations ressentait-il ?
Et pourquoi ?
Mais est ce qu’il y a un pourquoi ? où est-ce une chose intime, secrète, connue de lui seul ?


5° joue en Picardie. Ça fait causer.

Quand j’en parle autour de moi, de ce que je fais, cette enquête sur un tueur, les atrocités, les meurtres, je vois bien que les gens me regardent bizarrement. Comme si je faisais quelque chose d’interdit, comme si j’étais moi-même suspect de m’y intéresser. Et puis, après la surprise et le dégoût, il y a un silence. Et après, les gens donnent leur avis, leur opinion.
Des meurtres comme ceux de Jacques, les gens ça leur fait horreur et en même temps, ça les fait causer.


6°jour en Picardie. Les lieux de jacques B.

Aujourd’hui, je note sur une carte, tous les lieux que je connais de lui.
Je me fais un parcours, et j’y vais, je me lance.
En voiture.
Le tribunal de Beauvais.
La Gare d’où est parti le premier crime.
Sa maison d’habitation. Pas encore trouvée. Il faut que je fasse une enquête de voisinage.
Il y a aussi la maison de ses parents. Lieu des crimes. Elle est un peu plus loin. J’irais plus tard.
Voilà la maison d’arrêt où il a été emprisonné la première fois.
Le centre de détention où il vit depuis 18 ans.
Je m’y rends.
Il y a un parking sur la droite. J’arrête la voiture. Nous sommes au milieu de nulle part, dans une sorte de zone artisanale à l’écart d’Amiens.
Et là, pour la première fois, j’ai un drôle de frisson qui me fait sursauter d’effroi.
Pour la première fois, je réalise qu’il est là.
Vivant.
À quelques centaines de mètres de moi.
Je me rends compte que tout ça, qui me faisait plutôt rigoler, tout ça n’est pas un film, pas une fiction, toutes ces femmes sont mortes et Jacques Bonneau est dans cette prison depuis 18 ans.
Comment est-il physiquement ?
Vieilli forcément, les cheveux gris ? Est-ce qu’il a une conduite exemplaire, a t-il sombré dans la religion, quelle est sa vie au quotidien ?
Je note de penser à me procurer une photo de lui et à la prendre toujours sur moi pour bien m’en imprégner.
Je note aussi de rencontrer l’association des disparues de l’Oise, qui regroupe des parents de victimes de tueurs en série.
Et en gros caractère, je note ESSAYER DE RENCONTRE JACQUES BONNEAU AU PARLOIR…
Je note aussi : « Ça pue cette histoire, ça sent la mort, la folie, la peur… et pourtant, plus que tout, plus que la peur de ce que j’allais découvrir, j’éprouvais le désir de regarder Jacques Bonneau en face. »



7° jour. Le miroir

Je suis dans l’ascenseur de l’hôtel. La lumière s’éteint. Je me mets face au miroir. Je pense à lui. J’ai son image dans la tête. J’essaie de penser comme lui. Là, comme si je revenais de tuer et que j’allais retrouver ma femme, mes enfants. J’essaie d’être lui, de franchir une frontière inconnue. Il y a deux homme en toi Jacques. Celui qui aime et celui qui tue. Est-ce qu’il y a deux hommes en moi, celui qui aime et celui qui a envie de tuer, faire le mal, connaître ce que c’est que d’enlever la vie, faire mal, avoir le pouvoir sur quelqu’un, quelqu’un à sa merci ? La porte de l’ascenseur s’ouvre. La lumière revient. Une femme entre. Très jolie. Elle me dit bonsoir. Je décide de faire le dur. Je ne réponds pas. Et je la regarde méchamment. Et puis, je me mets à éclater de rire. Elle me regarde, l’air surpris.
— Qu’est que vous avez, elle demande ?
— Je suis désolé, mais je vous imaginais… enfin, je m’imaginais être un tueur en série et… enfin, c’est compliqué.
Elle me regarde.
Elle se met à rire.
Moi aussi.
Et quand la porte de l’ascenseur s’ouvre à nouveau, je l’invite même à prendre un verre dans le bar de l’hôtel. Elle dit oui. Je vois bien qu’elle n’a pas du tout peur. Au contraire, ça la fait rire mon histoire de tueur. Elle se moque gentiment de moi et me demande si c’est une technique de drague.
Il est tard.
Je remonte dans ma chambre.
Allongé sur mon lit, je me sens pas du tout dans la tête d’un tueur en série, mais alors pas du tout. Plutôt dans la peau d’un séducteur. Qu’est-ce que j’irais m’emmerder à tuer, violer des femmes alors que je peux les séduire !


8° jour. La fête des fous

Ce jour-là, je me retrouve en plein carnaval la fête des fous, dans une petite station balnéaire de la baie de Somme. Les gens chantent, rient, ils boivent, ils crient, s’autorisent tout un tas de choses qu’ils n’oseraient pas faire en dehors, comme grimper aux arbres et aux gouttières, s’habiller en costumes ridicules, interpeller tout le monde… je pense à la fête des fous, tout y est autorisé, les règles sociales sont suspendues, c’est un défouloir. Un moment de libération. Je pense à Jacques et je vis ses meurtres comme une transgression des interdits, des règles. Prendre la vie. Comme un acte de révolte, de liberté totale, qui brise les tabous de la mort… prendre la vie, c’est prendre le pouvoir, c’est se substituer à Dieu.


9° jour. CV

Je regarde de nouveau son parcours.
Rien dans sa biographie ne laissait présager de telles horreurs.
J’ai un parcours exemplaire d’un côté et de l’autre des descriptions de torture digne d’un barbare.


10°jour. Filature.

Aujourd’hui, j’ai fait une expérience, vers 17H00, j’ai choisi une fille qui sortait d’un train dans la gare de Beauvais. Et je l’ai suivi. D’abord dans la gare. Je me sentais pas très discret. D’ailleurs, au bout d’un moment, je crois qu’elle a remarqué mon regard trop appuyé. J’ai un peu la honte. Mais bon, c’est pour l’expérience. En même temps, je me marre. Je me sens comme un gros chat, qui cherche des souris. Un gros chat qui se construit son film dans son coin.
Dans le Relais H, elle s’achète une barre chocolatée.
Puis elle sort de la gare.
Elle tire sa valise derrière elle en mangeant sa barre chocolatée.
Je la suis. De loin. Discrètement.
S’agirait pas qu’elle appelle la police en disant qu’elle est suivi par un pervers, sinon, je vais avoir de quoi en expliquant aux flics que je m’entraîne à me mettre dans la peau d’un tueur en série pour faire un spectacle.
On marche depuis 10 minutes.
Tout se passe bien, elle ne s’est pas retournée et ne doit se douter de rien.
Elle sonne à une porte d’un immeuble. La porte s’ouvre. Elle pénètre à l’intérieur. Je regarde le nom où elle a sonné. Mathieu. Est-ce un homme, une femme, sa famille, chez elle ?
Bon.
Je décide d’attendre.
Il est 17h25.

vendredi 1 mai 2009

Photos sur la route...

Décharge où un corps fut retrouvé, en 1998...
Face à la gare de Beauvais...
Gare de St-Just les Fossés, ville où vivait Jacques B.
Motel en Picardie...