samedi 4 février 2012

Analyse en règle...


une analyse minutieuse du spectacle sur un site rennais... euh, même moi, j'en ai appris des bonnes... des vertes... et des mûres...

sur le site de alter1fo:
http://alter1fo.com/nicolas-bonneau-un-tueur-en-serie-a-ouvert-mythos-32836

Nicolas Bonneau : un tueur en série a ouvert Mythos

Le festival Mythos s’est ouvert ce mardi 12 avril 2011 à Rennes, avec une proposition ambitieuse. Le synopsis était alléchant : Nicolas Bonneau, conteur, part sur les traces d’un tueur en série, bien réel, qui a atrocement tué 7 femmes en Picardie dans les années 80… et qui par le plus grand des hasards, porte le même nom que lui…

L’élément déclencheur
Mais pourquoi donc s’intéresser à cet homme, tueur homonyme du conteur ? Nicolas Bonneau l’explique : « C’était en tournée. Un soir, à l’hôtel. Par réflexe, j’ai allumé la télévision. J’ai pris en cours une émission sur les tueurs en série (le serial-killer est à la mode ces temps-ci), et j’ai vu apparaître la photo d’un tueur qui avait sévi en Picardie dans les années 80, en assassinant des femmes de manière atroce. J’ai vu sa photo. Puis j’ai entendu son nom : Bonneau. Prénom Jacques. Le même nom que moi. La voix off du documentaire martelait son nom sur une musique de suspens : Bonneau ! Mon nom qui résonnait dans la pièce. Je suis resté scotché devant le poste, à la fois dégoûté et fasciné par les crimes commis. Fasciné aussi par ce patronyme partagé, comme si ce nom nous reliait, comme un fil invisible. »
C’est l’élément déclencheur. Le conteur décide alors de s’emparer du sujet, et de s’intéresser, d’ « enquêter sur tout ce qu’il y a autour, les familles, les victimes, questionner la justice et la société. » C’est ce qu’il nous expose dans la première partie du spectacle. On le comprend très vite, son Fait(s) Divers sera donc le récit d’un road movie, celui d’un conteur qui part en Picardie, sur les traces d’un serial killer qui est son homonyme.

Le pouvoir de la parole
Le plateau est quasiment nu. Seuls deux lais tapissés, en quinconce, coupent la perspective. Au fond, une grande tenture, peinte avec des aspérités qui renvoient la lumière. L’espace scénique se partage en plusieurs espaces. La chambre, à Beauvais, sera représentée par un rectangle de lumière sur le sol sur la gauche du plateau. C’est le même lieu qui servira de cellule. La cellule dans laquelle Nicolas Bonneau, le conteur sera enfermé. La délimitation lumineuse n’est plus marquée, pourtant, le rectangle au sol a tellement imprimé nos esprits lors de ses précédentes apparitions, qu’on voit, sans avoir besoin d’y réfléchir, les murs rectangulaires de la cellule. Joli tour de force.
Il est impressionnant de voir à quel point les différents lieux traversés par le personnage prennent une réelle épaisseur simplement par la parole du conteur. Le plateau est nu et pourtant, on voit clairement le bureau et les plantes vertes du chef de la gendarmerie que Nicolas B. a demandé à rencontrer pour faire son enquête. La route de Picardie, sous la pluie et cette biche, les yeux mouillés dans les phares. La salle de la Cour d’Assises, le café de la gare, la chambre de Beauvais, la pièce dans laquelle Jacques Bonneau découpait et brûlait ses victimes. Tout est devant nos yeux. Simplement, par l’évocation de la parole. C’est d’abord là que Nicolas Bonneau est très fort. Il prend certaines fois le temps de décrire les lieux précisément : la chambre, à Beauvais, avec sa tapisserie et son cadre avec un clown, la Cour d’Assises, avec le banc des victimes, la table de l’avocat de la défense, le box des jurés et celui, vitré, de l’accusé… Mais d’autres deviennent simplement immédiatement visibles par la gestuelle du conteur (le comptoir du café où est accoudé l’un des deux badauds du village, la grille de la cellule par laquelle Nicolas Bonneau appelle le brigadier).

Un road movie burlesque
Bien sûr, c’est souvent burlesque, Nicolas Bonneau ayant décidé de nous faire d’abord rire de son histoire et de ne pas trop se prendre au sérieux. Le voyage commence à Beauvais, avec sa place de la gare, son hôtel de la gare, son café de la gare… Une ville de Picardie, morne et entourée de champs de betteraves. Nicolas Bonneau mène l’enquête et rencontre une galerie de personnages, drôles, tordus et croqués avec talent : un gendarme intello, un chroniqueur judiciaire pris de démangeaisons et grand amateur de sordide (quitte parfois à oublier la vérité), un avocat de la défense qui compare la Cour d’Assises avec la catharsis aristotélicienne de la tragédie théâtrale, un commissaire qui soigne ses plantes vertes ou deux piliers de comptoir aux raccourcis faciles. Il faut noter que Nicolas Bonneau est seul sur scène et incarne seul toute cette galerie de personnages, plus drôles que nature. On applaudit déjà les qualités du comédien nécessaires à ces incarnations successives ou concomitantes.
Ce road movie picard se veut donc d’abord burlesque. L’artiste teinte certaines répliques d’humour noir (les deux hommes au café), joue sur un comique gestuel (le chroniqueur judiciaire qui se gratte constamment, le mangeur de cacahouètes du bar ou l’affalement de l’avocat de la défense) ou un comique de situation (le plat du jour unique de Beauvais), mais aussi désarçonne les attentes du spectateur (le brigadier qui cite Bourdieu)… Ce mélange, ce jonglage entre différents ressorts du comique, est aussi renforcé par le mélange des genres.

Le mélange des genres
A plusieurs reprises, Nicolas B. tente le parallèle : « si nous étions dans un polar », « si nous étions dans un thriller » … En découlent alors plusieurs scènes, calquées sur des films de genre, qui font rire par leur détournement des codes. Nicolas B. s’essaie à la filature. Nicolas B. s’essaie à l’interrogatoire des témoins. Nicolas B. s’essaie à attendre une victime dans un ascenseur immobile… On est à la fois dans le rire, et dans le même temps, de vraies interrogations émergent de ces rapprochements. La capture de la proie, de la victime, d’abord imaginée par Nicolas B. fait l’objet d’une comparaison entre différents modus operandi de plusieurs tueurs en série réels. C’est à la fois fascinant et glaçant.
Le fond du plateau, est lui, réservé aux décrochages. A ces moments, où ce n’est plus le parcours, le road movie picard qui est représenté linéairement, mais où la pièce s’épaissit d’autres dimensions. L’intertextualité, d’abord qui confronte la figure de Jacques Bonneau avec celle(s) de Jekyll et Mr Hyde. Derrière ce Fait(s) Divers, Nicolas Bonneau cherche en effet à « comprendre pourquoi quelqu’un (…) passe de l’autre côté de la ligne rouge, pourquoi quelqu’un devient un assassin. Comment est-ce qu’on peut expliquer ça. Est-ce que c’est possible à expliquer, cette chose-là qui est dans la nature humaine ? » Car Nicolas Bonneau, l’homme, le dit : d’autres serial killers portent leur folie sur le visage. Dans le cas de Jacques Bonneau, les limites sont bien moins marquées. L’homme pourrait aisément passer pour un bon père de famille, un notable (le tueur en série est le médecin du village) respectable. Il apparaît alors terriblement proche de nous. Et c’est ce qui intéresse Nicolas Bonneau : qu’est-ce qui fait que cet homme apparemment comme vous et moi, soit passé de l’autre côté, soit devenu un criminel ? C’est finalement là la vraie question posée tout au long de cette pièce.

Un polar qui commence là où les autres s’arrêtent
Nicolas Bonneau, en parlant de son spectacle, aime à rappeler que « c’est un polar qui commence là où tous les autres polars s’arrêtent. » On connaît déjà le coupable. Les crimes sont avérés. C’est donc ce qui se passe après qui intéresse le conteur. Ou plus exactement, ce que cache le fait-divers derrière la fascination et le dégoût qui l’accompagnent, derrière la diversion (merci M. Bourdieu) qu’il apporte. Aussi le personnage rencontre successivement un chroniqueur judiciaire qui a suivi l’affaire, les gendarmes, la justice, mais aussi les piliers de comptoir du café du village, la famille des victimes, celle du tueur… Il s’agit d’interroger, toujours, de trouver des éléments de réponse pour épaissir le sens de ces actes qui nous semblent insensés. Rien de ce qui est humain ne devrait nous être étranger. Plutôt que d’une enquête, finalement, on devrait parler d’une quête. La quête introspective d’un homme qui cherche à comprendre la complexité de l’âme humaine et les détours glaçants que celle-ci peut parfois suivre. Plus qu’un polar, c’est un « polar métaphysique » que nous offre Nicolas B.
Ainsi sont citées certaines phrases de L’Etrange cas du Docteur Jekyll et de Mr Hyde, qui viennent résonner avec l’histoire qui nous est racontée. Cet homme, docteur, donc, qui recherche une potion pour comprendre la noirceur de l’âme, et qui, y parvenant, se retrouve du côté du vice et du crime, est-il différent de ce médecin picard qui conserve le sein de ses victimes dans un bocal de formol ? Là encore, qu’est-ce qui a conduit Jacques Bonneau à la folie de ces actes ? Nicolas Bonneau, dans une ambiance sombre et angoissante, nous raconte une autre histoire en introduction, celle d’un rebouteux qui scelle un pacte avec un criminel sans le savoir et se retrouve prisonnier du « mal » . Ces histoires viennent elles aussi interroger, questionner, tenter de « comprendre pourquoi quelqu’un (…) passe de l’autre côté de la ligne rouge » .
La comparaison est aussi établie avec Barbe Bleue, ce personnage de conte qui tua ses sept femmes, et dont le sang versé, tâche la peau de sa huitième femme qui a voulu connaître le secret de l’ogre. Quand Nicolas Bonneau nous raconte cette histoire, il est au fond du plateau, éclairé de telle manière que son ombre devient gigantesque sur la tenture derrière lui et évoque l’ogre du conte. Cette comparaison intervient alors que Jacques Bonneau, dans le spectacle, capture la huitième femme qu’il s’apprête à tuer (qui parviendra à s’enfuir), comme la nouvelle épouse de Barbe-Bleue, qui se trouve elle aussi être la huitième femme de l’ogre. L’évocation du conte est une autre tentative de compréhension du fait-divers. Les mythes et les contes sont un media pour appréhender la complexité de l’âme humaine : tout s’y joue, déjà, de manière fantasmée.

Le documentaire s’épaissit de la fiction
Cette quête de compréhension passe donc par ce palimpseste de textes qui résonnent entre eux. Mais il faut aussi noter que Nicolas Bonneau définit son travail aussi, comme celui d’un documentariste. On connaissait Nicolas Bonneau pour ses spectacles autour du monde social et politique avec Sortie d’Usine et Inventaire 68. Cette fois-ci, en s’attaquant au fait-divers, le conteur part une nouvelle fois de la réalité, de la parole vraie, recueillie au cours d’une enquête bien réelle. Comme ces bandes dessinées, par exemple, qui flirtent elles aussi avec le documentaire (le travail d’Etienne Davodeau en tête, ou celui de Yann Benoît et Hervé Tanquerelle pour la Communauté), la forme du média choisi (ici le théâtre) permet de rendre compte de la réalité différemment. Nicolas Bonneau interpénètre ainsi réalité documentaire et fiction. Le sens est donc complété, épaissi par le recours à l’imaginaire ou à l’intertextualité. C’est une autre vérité documentaire qui nous est présentée par ce biais. Le documentaire ne permettant peut-être pas, à proprement parler, de comprendre la complexité de tels actes, le recours à la fiction permet d’épaissir le sens, de progresser dans la compréhension de l’innommable.
Trouble de la personnalité et passage de la première à la troisième personne
On notera que le texte, écrit par Nicolas Bonneau, en collaboration avec Anne Marcel utilise à la fois « je » et « Nicolas B. » lorsque le conteur parle de ce conteur parti en Picardie qui est lui-même. Les liens entre fiction et documentaire, la confusion entre narrateur et personne réelle sont constamment battus en brèche par ce passage continu de la première à la troisième personne. Cela joue sur la distanciation à la fois recréée et en même temps niée avec le spectateur. On hésite constamment : à quel moment est-on dans la réalité ? Dans le documentaire ? Dans le spectacle ? Nicolas B. dont on parle devant nous existe, et c’est lui, en personne qui nous parle de lui-même à la fois comme s’il était un personnage et à la fois (on imagine) en son nom propre. C’est finalement encore la même chose qui est en jeu. L’appréhension de la réalité ne peut l’être que dans la complexité de la pièce, du spectacle.

La vérité de l’expérience intime
En interview sur Canal B ce mercredi, l’artiste, interrogé sur la réalité des lettres envoyées ou non à Jacques Bonneau, s’écrie : « ce que je raconte est vrai ». Peu importe que les choses passent ou non par la fiction, c’est la réalité de l’expérience intime qui est ici relatée. Comment la fascination au départ éprouvée, se transforme progressivement. Durant 3 ans, l’artiste a en effet collecté la matière de son spectacle. Et cette idée, d’abord excitante et jouissive aboutit sur la nécessité d’en finir avec cette histoire, qui prend progressivement dans sa vie une énorme place. D’autant que, ainsi qu’il l’explique quand Canal B lui demande si Jacques Bonneau a répondu à ses lettres, il est encore « dans l’attente » et que le spectacle pourra encore évoluer en fonction de ce qui lui arrive dans le futur.
Interrogé par France 3 sur le(s) véritable(s) héros de sa pièce, Nicolas Bonneau parlait des familles des victimes et de celle du tueur, devant vivre avec. Tout en s’inquiétant, par ailleurs, qu’un quelconque moment de son spectacle puisse faire passer Jacques Bonneau, le tueur en série, pour un héros. Il n’en est rien. Jacques Bonneau n’est jamais héroïque. Il ne s’agit que de la figure d’un homme qui nous interroge profondément sur la complexité de l’âme humaine. Et cela par le biais de la pièce du conteur. Beau travail, Monsieur Nicolas Bonneau.

Isabelle Chauzit
alter1fo.com, magazine internet d'info locale et culturelle sur Rennes


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