samedi 4 février 2012

Un peu de presse à lire...



Nicolas et Jacques Bonneau : conteur et tueur

Fait(s) divers. À la recherche de Jacques B : un spectacle de Nicolas Bonneau, vu au festival d'Avignon à la Manufacture. Un bijou du "off".
Jacques Bonneau, « l’ogre de Picardie » a, dans les années 80-90, tué sept femmes... sept victimes étranglées dont les seins (un par femme) étaient conservés dans du formol.
Nicolas Bonneau n’a pas grand-chose à voir avec Jacques : il n’est ni médecin, ni tueur en série, pas picard non plus, quoique parfois surgelé. Il est conteur, auteur et comédien. C’est un soir, en regardant la télé, un « faites entrer l’accusé » consacré à la Picardie, qu’il a découvert ce Bonneau, nom prononcé par une femme qui lui avait réchappé. Le lendemain, le téléspectateur a eu une idée : faire un spectacle où Bonneau enquêterait sur Bonneau. «Ce serait marrant » se disait le comédien, léger.
Marrant de suivre les traces d’un tueur en série, de se poser aux bars de vieux cafés picards, d’essayer de comprendre ce qu’il ressentait dans les villages dévastés des alentours de Beauvais, face à ses patientes, en rentrant chez lui le soir auprès de sa femme et ses enfants, ou lorsqu’il marquait soigneusement d’un coup de feutre le sein de sa victime, avant de le découper… Ce serait marrant aussi de se jouer, soi, comédien, en train d’enquêter, d’alterner sur le plateau les deux Bonneau, et d’imaginer que Bonneau, l’autre, pourrait, lorsqu’il aurait expié sa peine, se trouver là, dans le public, à se regarder au travers des yeux du comédien.
Ce serait marrant, et troublant… Une superbe performance d’acteur en tous cas, un incroyable talent de conteur et quelques questions : sur la banalité du mal, le fait qui fait « diversion », sur le rôle de l’art : peut-on ainsi faire de la vie d’un meurtrier un spectacle grinçant certes, mais comique avant tout, alors que l’homme est peut être encore enfermé ? Est-ce une double peine ? Ou un hommage qui lui serait rendu pour la matière qu’il aurait mis à disposition d’un comédien désireux de remplir une salle et d’un public voyeuriste ? Cela devient en tous cas un conte rondement et finement mené, un plaisir de spectateur, et sûrement d’acteur. À voir !

Si j’étais debout sur ma tête
(Blog Avignon 2011)
http://sijetaisdeboutsurmatete.blogspot.com/2011/07/nicolas-et-jacques-bonneau-conteur-et.html




Le burlesque voisine avec le monstrueux

La plupart des tueurs en série soignent la mise en scène de leurs crimes. Dans « Fait(s) divers », c’est un comédien, Nicolas Bonneau, qui se met en chasse d’un criminel dont il refait minutieusement le parcours. Retour sur les lieux, rencontres avec les familles des victimes, avec les responsables de l’enquête : le comédien effectue une plongée dans les abysses humaines où le spectaculaire côtoie la métaphysique et le burlesque voisine avec le monstrueux.

Méliméloff
( Avignon 2011)




"Nicolas B à la recherche de Jacques B"

Quand il apprend qu'il porte le même nom qu'un tueur en série, Nicolas Bonneau décide de mener sa propre enquête sur l'assassin : "Nicolas B à la recherche de Jacques B" (une histoire tirée de faits réels, comme on dit). Le voilà donc parti en direction de la Picardie, comme dans un road movie de chez nous, avec l'A10 en guise de route 66. Une fois arrivé, il faut trouver un restaurant ouvert un lundi soir à Bovais (très difficile), prendre une chambre à l'Hôtel de la gare, avant de commencer les investigations sur celui qu'on surnommait l'"ogre de Picardie". 

Musique inquiétante, lumières changeantes qui évoquent tour à tout une sordide chambre d'hôtel, un commissariat éclairé aux néons, ou encore la silhouette du tueur... C'est sûr, ce spectacle donne des frissons. "Nicolas B" dresse le portrait d'un tueur, mais aussi de toute une région sous le choc de découvrir que son médecin de campagne (autrement dit un notable) est en réalité un monstre sanguinaire. Mais Bonneau ne manque pas non plus d'humour, et ses interviews, qu'il joue tout seul comme des dialogues de théâtre, sont savoureuses, en particulier celle du chroniqueur judiciaire pour qui "le fait divers, c'est la nouvelle catharsis" et même, finalement, "l'opium du peuple!".
Nicolas Bonneau se considère avant tout comme un conteur spécialisé dans ce qu'il appelle le "théâtre documentaire" : "tel Raymond Depardon posant sa caméra et regardant les gens vivre, je pose mon cadre, mes personnages, et je les fait vivre avec mon filtre, mon point de vue". Ici, Bonneau alterne journal de bord, interviews, confidences, ou encore adresses au public, avec un talent sans pareil qui fait de son enquête un vrai spectacle vivant, à ne manquer sous aucun prétexte.

Alice Ourliac, La Provence
( Avignon 2011)




Un road movie théâtral aux accents rieurs et inquiétants

Malgré nos réticences au voyeurisme, les faits divers ne cessent de nous fasciner. Car ils réveillent une part enfouie et inconnue de nous-mêmes.
C’est cette étrange fascination que Nicolas Bonneau explore dans Fait(s) divers.
Seul sur scène, ce formidable raconteur d’histoires mène une enquête autour d’une série d’assassinats perpétrés par un médecin picard, Jacques B., au cours des années 1980.
Alternant récit, narration, adresse directe au public, confidence, incarnation de personnages, Nicolas Bonneau nous embarque dans un road movie théâtral aux accents rieurs et inquiétants. Entre ombre et lumière, cette plongée dans l’inconnu laisse à l’âme une entêtante impression de trouble.

Programme du GRAND T



LES DEUX BONNEAU

En résidence au théâtre du NEST pour trois ans, le conteur Nicolas Bonneau jouera son dernier spectacle, Fait(s) Divers (à la recherche de Jacques B.), du 6 au 13 octobre au théâtre en Bois de Thionville.
Entre réalité et imaginaire, entre vérité et mensonge, ce funambule des mots ne s’en laisse pas conter.

En association avec l’équipe du NEST et son directeur, Jean Boillot, depuis la saison 2010/2011, Nicolas Bonneau est tout simplement ravi : « C’est la première fois qu’un Centre Dramatique National fait appel à un conteur, c’est assez singulier, je le vois comme une ouverture à ma profession». C’est pourtant une évidence : qui de mieux qu’un conteur pour un théâtre en bois dont le mur d’enceinte est tagué d’une intention clairement affichée : « Ici on raconte des histoires » ? Alors, pendant une année, Nicolas Bonneau fait des allers retours entre sa Poitou-Charentes natale, Thionville, et la Picardie. « Je passe du temps chez et avec les gens, je les fais parler, je les interroge, bref, je fais du collectage » pour rassembler la matière première des spectacles.
Fait(s) Divers le mène en Picardie, sur les traces d’un médecin bien sous tous rapports, marié, père, respecté et intégré dans la communauté. 7 femmes assassinées en 10 ans. Un tueur en série. Des articles en pages « Faits divers » qui, mis en résonance, retracent le parcours de ce meurtrier. Mais pourquoi en faire le terreau d’un conte ? « C’était en tournée. Un soir, à l’hôtel. Par réflexe, j’ai allumé la télévision. J’ai pris en cours une émission sur les tueurs en série (le serial-killer est à la mode ces temps-ci), et j’ai vu apparaître la photo d’un tueur qui avait sévi en Picardie dans les années 80, en assassinant des femmes de manière atroce. J’ai vu sa photo. Puis j’ai entendu son nom : Bonneau. Prénom Jacques. Le même nom que moi! » Partagé entre dégoût et fascination pour les crimes commis, le conteur regarde l’émission. Mais bien plus, il est fasciné par ce patronyme partagé.
Commence alors un minutieux travail de tissage pour relier tous les fils de l’histoire de cet inconnu à son histoire. De Jacques à Nicolas. Pour tenter de comprendre comment un être humain bascule, comment il devient le sujet d’un fait divers. Et surtout, pourquoi le fait divers nous fascine. « J’ai ma théorie, j’y vois une sorte de catharsis pour purger nos pulsions violentes ». Un serial killer sommeillerait-il en chacun de nous ? Ou pire, dans la salle ? Créé à Rochefort en avril dernier, Fait(s) Divers donne à voir, à imaginer, recrée le « road-movie » du conteur, de ses rencontres avec des juges, des avocats, des policiers à son courrier envoyé à l’autre Bonneau, dans sa cellule, resté jusqu’ici sans réponse. Les proches aussi, des victimes, de l’assassin. Des faits-diversiers du journal local, le maire du village, les habitants dans les cafés, des détenus.
Après le collectage vient l’écriture, avec son équipe, et sa metteur en scène, Anne Marcel. Fait(s) Divers est leur troisième spectacle. Plus ambitieux dans la scénographie, l’éclairage, le son que les deux précédents. Le premier, Sortie d’Usine, évoque les manifs, les syndicats, les ouvriers, les matins difficiles et les coups de gueule, les coups à boire, à partir d’une chaise et d’un néon. Le suivant, Inventaire 68, est le conte à la fois ludique, humain, des événements de la petite et de la grande histoire par ceux qui l’ont vécue. Pour tout décor, un gros pavé auteur duquel joue le conteur.
Car Nicolas Bonneau est aussi comédien et auteur pour le théâtre et les marionnettes. Mais par-dessus tout, il conte. Des histoires de 7 à 10 minutes, comme celle de cette robe de mariée achetée d’occasion après un mariage annulé alors qu’il est étudiant parisien fauché et n’est pas fiancé. La parole coule, facile, les gestes sont simples, évocateurs, la connivence avec le public évidente. « Le conteur a une imprécation sur la vie, les gens. Le récit de vie me plaît par son côté politique car je fais un théâtre populaire que je veux accessible aux gens qui vont rarement au spectacle, et, lorsque j’écris, je pense à mes parents ». Son éducation paysanne et ses études d’histoire associées à sa formation de comédien en font véritablement un conteur. Quelle est la part d’autobiographique, la part d’imaginaire alors?
Toujours sur le fil, dans une démarche où il est à la fois à l’intérieur de l’histoire, à la fois mis en scène, Nicolas Bonneau l’admet : «Je suis un peu un gros menteur en fait, j’ai un côté affabulateur, mythomane. J’aime perdre les gens, j’invente, je fais croire que c’est vrai », comme dans la littérature sud-américaine, où lorsque les choses sont ancrées dans une réalité tangible, l’auteur surprend et sape les codes. Mais « après, on s’en moque que ce soit vrai ou faux, tant que je raconte une bonne histoire ! ». Car finalement, «l’imprégnation de moi-même pour raconter, c’est ma façon d’y croire. » Pour Fait(s) divers, il pousse le processus jusqu’au bout, le théâtre documentaire s’empare du r& eacute;el pour en faire du théâtre, et le conteur réveille l’imaginaire du spectateur par les mots, les gestes, le travail du son, de l’éclairage. Selon Jean Boillot, directeur du Nest, « avec rien, il nous embarque dans un univers entre réalité et imaginaire », entre vérité et mensonge, entre deux Bonneau. Comme un funambule tenté par deux univers contradictoires et pourtant si proches.


Aline Hombourger

© L'ESTRADE, numéro d'octobre 2011


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire